Urgence au décollage - Fait vécu

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Urgence au décollage - Fait vécu

Messagepar PaulD » Ven 01 Avr, 2005 07:36

Par Pierre Bourdeau

Le programme de la journée du 7 novembre 1993 s’annonçait intéressant pour Yves Guay, un pilote d’avion de Québec. Membre des Ailes Québécoises, un club de pilotes et de mordus de l’aviation, Yves était heureux de pouvoir assister au premier vol en solo de son ami Fernand Poulin.

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En compagnie de sa compagne Lilianne, il avait prévu assister à ce solo pour apporter son soutien au nouveau commandant de bord. D’ailleurs, c’était Yves qui avait convaincu celui-ci d’acheter un avion pour suivre son cours, plutôt que de louer des heures dans différents appareils. Micheline, la femme de Fernand, avait également cédulé une petite fête intime qui aurait lieu chez-elle en après-midi.

Pour occuper le temps d’attente, Yves offrit à Lilianne d’aller dîner à Trois-Rivières. Le vol de Québec vers Trois-Rivières se déroula normalement. Ils mangèrent au restaurant de l’aéroport. Puis vinrent les préparatifs pour le retour.

Lilianne prit place à gauche. Yves avait accumulé beaucoup d’heures à droite, et il se sentait aussi à l’aise que de l’autre côté. Rien de particulier lors des vérifications pré-vol. Un vent de face de 20 nœuds soufflait de l’ouest. La montée allait se faire allègrement, et le retour vers CYQB serait rapide.

Le Piper Warrior, avec un cran de volets, roula de plus en plus vite, devint plus léger que l’air et quitta le sol pour entreprendre sa montée initiale. Soudain, à 300 pieds sol (91 mètres), la puissance diminua presque complètement.

Le moteur ne s’était pas arrêté mais ne fournissait plus l’effort nécessaire pour poursuivre la montée. Déjà, l’avion dépassait l’extrémité ouest de la piste 23. Trop tard pour penser à tout fermer et se poser sur la piste restante. Trop bas pour espérer effectuer un virage à 180 degrés pour se poser sur la piste 05, en raison des dangers causés par la perte de puissance ajoutée au virage à grande inclinaison devant être effectué à basse altitude.

Lilianne réalisa, en voyant la fin de la piste défiler sous leurs roues, comme il était tentant de revenir se poser sur celle-ci, « en espérant que tout se passerait bien ». C’eût été inviter le désastre.

Yves était convaincu qu’il fallait continuer à voler vers l’ouest. Il avertit Lilianne qu’il reprenait les commandes et saisit le micro pour déclarer une urgence (panne de moteur) aux opérateurs de l’aéroport de Trois-Rivières. « En déclarant ma panne, j’ai remarqué avoir coupé les communications de quelqu’un sur la fréquence, mais j’avais des tâches urgentes à accomplir et je n’avais pas le choix », dit-il. Il jeta ensuite le micro sur le banc arrière.

Une situation se présentant d’abord comme normale faisait maintenant place à une urgence majeure à proximité du sol. Aucune comparaison avec le pilote qui éprouve les mêmes difficultés à une altitude de 3000 pieds sol (984 mètres) : celui-ci a alors suffisamment de temps et d’espace pour effectuer des vérifications, choisir l’endroit où il décidera de se poser et effectuer les tâches nécessaires.

Malgré le degré de tension soudaine causé par un tel incident, tous deux gardèrent leur sang-froid. Yves effectua les vérifications des instruments tout en gardant l’œil dehors : il lui fallait d’abord voler l’avion. Tout le reste n’était qu’accessoire.

Face à eux, une ligne de grands arbres dépouillés de leurs feuilles montraient les pointes acérées de leurs branches. Yves dit à Lillianne : « Si tu vois un champ libre d’obstacles de l’autre côté de cette ligne d’arbres, dis-le moi, car il nous faut nous poser droit devant. »

Quand il tenta de mettre en marche le réchauffe carburateur, la situation empira : il en ferma vite la manette. Le moteur tournait au ralenti, mais vu le mouvement rotatif continuel de l’hélice, la traînée s’en trouvait du coup réduite.

À la vue des arbres se rapprochant dangereusement de leur ligne de vol, Yves donna au Piper une autre coche de volets pour tenter de dépasser cet obstacle. Bonne décision. La vitesse de réaction des volets (opérés manuellement sur le Warrior) se révéla un véritable atout ce jour-la. Un autre type d’appareil équipé de volets électriques n’aurait pas pu réagir aussi vite. L’avion grimpa tout à coup d’un bon 50 pieds (15 mètres), ce qui lui permit de franchir de peu la ligne d’arbres menaçants.

Ensuite ils se mirent à perdre de l’altitude : il fallait garder la vitesse de vol plané et trouver vite un endroit où se poser. Ils ne pouvaient voir très loin devant eux. Puis, juste au-delà et à droite de la ligne d’arbres, Yves aperçut un champ de labour assez vaste. Il se dirigea droit sur cette piste improvisée.

À l’aéroport de Trois-Rivières, on avait entendu l’appel d’urgence. La jeune fille responsable des communications à l’aéroport rappela pour vérifier et confirmer l’identité de l’avion en difficulté. Yves, tout occupé à ses tâches, dit à Lilianne : « Le micro est derrière. Suis le fil et tu vas le retrouver. » Elle le trouva et le tendit à Yves, qui donna sa position. Tous les autres pilotes laissèrent libres les ondes pendant ces secondes cruciales. Ensuite, un pilote d’hélicoptère appela : « Mon moteur tourne déjà, et je vais me rendre vous voir dans quelques minutes.»

La descente se poursuivait et le Warrior approchait du point d’impact. Devant eux s’étendait un champ de labour qui semblait assez mou, et l’appareil devrait se poser dans le sens contraire des sillons, pour garder le nez dans le vent. Cela ajoutait sensiblement au degré de difficulté.

Quand le pilote fut certain de pouvoir atteindre le champ, il sortit les volets au maximum et souleva le nez autant qu’il le pouvait. Convaincu que la roue de nez ne résisterait pas à l’énorme pression d’une décélération rapide dans la terre molle, et que l’appareil se retournerait à l’envers après le contact initial, Yves s’assura que leurs ceintures étaient bien attachées et il entrouvrit la porte, située du côté droit, au cas où celle-ci demeurerait coincée après le renversement. Il effectua aussi toutes les procédures d’urgence habituelles (incluant « fuel off et master off »).
Dernière édition par PaulD le Sam 25 Mar, 2006 20:12, édité 5 fois.
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Seconde partie

Messagepar PaulD » Sam 09 Avr, 2005 06:46

Quand l’avion se posa sur le train principal, il roula sur une très courte distance et s’immobilisa rapidement. Le tout s’effectua en douceur. Une extrême douceur. Surtout quand vous croyez dur comme fer que le train avant allait se briser et faire renverser l’appareil.

Aucun choc. Aucune blessure. Aucun dommage. L’hélice et le train d’atterrissage intacts. Et un des beaux atterrissages effectués par Yves durant sa carrière.

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Permettons-nous ici une courte parenthèse : depuis le temps où nous le connaissons, plusieurs d’entre nous avons été témoins de certains des beaux atterrissages d’Yves, lors de compétitions amicales : on y retrouve toujours douceur et précision. Ce qui lui a d’ailleurs permis de gagner plusieurs premiers prix.

Des témoins au sol rencontrés plus tard mentionnèrent que l’appareil les avait survolés à très basse altitude, et qu’une fumée noire sortait du moteur. « Je me suis alors dit que le carburateur était peut-être à la source de ce problème », nous mentionne Yves.

Après l’arrêt complet, Lilianne et lui se regardèrent incrédules et poussèrent un long soupir de satisfaction : on avait évité de peu le désastre. Juste avant de se poser, Yves était convaincu que le pire les attendait et que l’avion serait détruit en capotant.

Maintenant, en dehors de leurs battements de cœur à l’emporte-pièce et leurs respirations haletantes, un silence étrange les entourait alors qu’ils étaient assis confortablement dans un avion immobile et intact! Situation irréelle s’il en était une!

Même si les deux personnes étaient saines et sauves, leur système nerveux avait pompé en eux un maximum d’adrénaline pour les aider à traverser cette urgence en demeurant très vigilants et au meilleur de leur forme.

Yves rappela l’aéroport de Trois-Rivières pour leur donner les bonnes nouvelles et confirmer qu’ils étaient tous deux saufs. Il leur demanda aussi d’appeler leurs amis Fernand et Micheline à Québec, pour dire qu’ils étaient sains et saufs et que tout allait bien, mais qu’ils seraient en retard.

Parfois, dans des cas semblables, les messages transmis à d’autres personnes ne sont pas toujours répétés intégralement, en raison de l’énervement: c’est ce qui arriva alors. La personne qui appela à Québec déclara que Yves s’était écrasé et ne donna pas d’autres détails quant à l’état des personnes impliquées. Vous imaginez l’inquiétude de Micheline, la sœur de Lilianne : son mari Fernand venait d’effectuer son premier vol solo et elle apprenait du même coup que sa sœur et Yves s’étaient écrasés ce jour-là!

Dans son appel à l’aéroport, Yves leur mentionna aussi qu’il n’avait pas besoin de camion de pompiers, étant donné qu’aucun déversement n’avait eu lieu. Mais comme les pompiers avaient déjà été appelés, il était trop tard pour annuler l’appel.

Ceux-ci, incapables de rouler avec leur camion dans le champ mou jusqu’à l’avion, avaient marché jusqu’à celui-ci et il y avait maintenant obligation de les payer : en effet, l’avion s’était posé dans une municipalité voisine de l’aéroport (Trois-Rivières Ouest), et l’on était un dimanche. La facture se monta à environ 500.00 $ dollars.

Les policiers aussi se pointèrent, et il fallut remplir des rapports interminables. Tout ce beau monde les retint dans le champ pendant au moins 4 heures. « Comme nous nous étions posés aux environs de 13h30, et que la clarté diminuait rapidement, le jour était tombé quand on nous libéra. »

Rappelons-nous que nous sommes en novembre, qu’il fait froid (moins 10 degrés C) et la noirceur est arrivée, et que les deux personnes impliquées sont fatiguées mentalement et physiquement. Yves demanda aux policiers s’ils pouvaient les amener, Lilianne et lui, jusqu’à l’aéroport : niet! Ceux-ci dirent qu’ils ne pouvaient pas rendre ce service.

Yves se rendit alors à pied trouver le propriétaire du champ, et lui offrit un montant pour aller les reconduire. Celui-ci accepta. Yves ferma à clef la porte de l’avion et ils se rendirent tous deux à l’aéroport avec le fermier. L’adrénaline s’était maintenant retirée de leur système, et leurs mouvements dénotaient maintenant une lourde fatigue.

Une fois revenu à l’aéroport de Trois-Rivières, Yves appela Transports Canada, dont le personnel avait déjà été mis au courant de l’événement par les policiers. Même si l’incident n’avait causé aucune blessure et que rien n’avait été brisé, il n’était pas courant ni normal d’atterrir un avion dans un champ de labour! Yves parla au représentant et raconta les détails de la mésaventure.

Il ne pouvait cependant affirmer avec certitude la raison de la panne, bien qu’il crût que le carburateur se trouvait à la source du problème. Celui-ci le félicita pour avoir fait planer l’avion face au vent, conservé la vitesse et gardé le contrôle jusqu’au poser des roues et l’arrêt complet. Et, à sa demande, Yves lui promit de l’avertir quand il découvrirait la raison de la panne.

Malgré l’heure tardive, Yves rencontra à l’aéroport Monsieur Jean Desbiens, un aviateur d’expérience de Trois-Rivières, qui avait écouté sur les ondes les échanges d’information : il était demeuré sur place pour offrir son aide au pilote en difficulté. Comme Yves semblait croire que le
carburateur était responsable, M. Desbiens lui demanda le numéro de série du Warrior et ajouta qu’un carburateur neuf serait disponible le lendemain matin au bureau de l’aéroport.

Yves appela ensuite la résidence de Micheline et Fernand, dont il apaisa les inquiétudes. Il apprit par la même occasion que son ami avait réussi son premier vol solo, que le gâteau était bon et qu’on les avait manqués tous les deux. Et que le restant du champagne serait gardé au frais jusqu’à leur retour. Les deux aventuriers allaient maintenant devoir se trouver un moyen de transport vers Québec. Yves appella aux Ailes Québécoises pour savoir si une âme charitable pouvait venir les chercher à Trois-Rivières.

« Jean-Paul Bédard répondit à mon appel et me dit qu’il décollerait pour venir nous chercher. Environ une heure plus tard, le Piper Archer de Jean-paul se pointa en finale sur la piste 23. Finalement, nous avons fait le retour vers Québec assis ensemble sur la banquette arrière », raconte le pilote.

Et il poursuit : « De retour à Québec vers 20h15 heures, nous nous sommes rendus chez Fernand et Micheline pour déguster enfin notre champagne, qui se trouvait au frais pour nous depuis 14h00. Croyez-moi, la soirée a été longue et nous avions bien des aventures à nous raconter. »

Le lendemain matin à 10h00, quand Yves se présenta à l’aéroport de Trois-Rivières avec ses amis Paul Lachance et Fernand Poulin, le carburateur l’attendait dans sa boîte originale à l’aéroport. Monsieur Desbiens était un homme de parole. Les trois pilotes repartirent ensuite en camion vers l’avion.

Après réflexion, Yves décida, avant même de remplacer le carburateur, de faire tourner le moteur assez longtemps. Celui-ci tourna comme un charme, comme il l’avait toujours fait, ou presque. Yves le laissa se réchauffer au moins 30 minutes, y incluant toutes les vérifications habituelles du point fixe. Comme le moteur se comportait maintenant normalement, Yves ne voulut rien démonter.

Il décida donc de trouver un endroit plus approprié pour le faire décoller. Et si le moteur recommençait à faire des siennes en altitude, le pilote survolerait des endroits propices à un atterrissage forcé.

Suite et fin la semaine prochaine...
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Messagepar PaulD » Mer 27 Avr, 2005 21:18

Ne voulant pas endommager l’hélice dans le sol mou, les trois hommes tirèrent donc manuellement le Warrior dans le champ, traversèrent un petit canal et atteignirent un chemin asphalté. Pour décoller de ce chemin, plusieurs obstacles se trouvaient devant eux: des poteaux de téléphone et des fils électriques, une maison et de grands arbres, sans compter qu’un bon vent de 20 nœuds soufflait de travers.

Yves évalua la situation et confia à Paul : « Même si le moteur semble bien fonctionner, j’ignore encore la cause de la panne. Si je décolle d’ici et que le même problème ressurgit, j’ai un peu peur de ce qui pourrait arriver. Cherchons un meilleur endroit pour décoller.»

Plus loin, les trois amis virent que deux champs relativement libres d’obstacles s’étendaient face à eux. Yves alluma le moteur et se rendit lentement avec l’avion jusque là. Puis ils arpentèrent tout cet espace à pied et virent qu’un chemin de tracteur raboteux, large d’environ 15 pieds (4.5 mètres) et plus bas de 4 pieds (un peu plus d’un mètre) environ, traversait ces deux champs. Si Yves décidait de décoller, il lui faudrait sauter effectivement par-dessus ce chemin. Comme un crapaud.

De plus, le premier champ comportait certaines plantes hautes de 3 pieds (un mètre) environ, des quenouilles en fait, ce qui équivaudrait à faucher de l’herbe haute musclée dans sa course. Le deuxième champ était un peu supérieur en qualité, mais il était beaucoup plus court et n’offrait pas une longueur suffisante à lui seul. De plus, une ligne d’arbres se trouvait à l’extrémité de celui-ci.

Yves devrait donc utiliser les deux champs pour décoller. Il gagnerait une vitesse suffisante de roulement, exécuterait à mi-course un saut de crapaud au-dessus du chemin de tracteur, toucherait terre dans le deuxième champ, où il roulerait encore brièvement pour augmenter sa vitesse. Puis il s’envolerait, en virant poliment à gauche pour éviter la ligne d’arbres, et aussi parce qu’un vent de vingt nœuds soufflait de la gauche. Si la vitesse de décollage n’augmentait pas suffisamment, il lui faudrait s’immobiliser avant l’extrémité du deuxième champ. Une distance de roulement d’environ 2000 pieds (610 mètres) était disponible pour l’aider à décoller.

Yves décrivit son plan d’action à Paul Lachance, «un homme d’une très grande expérience et que je respectais beaucoup.» Nos trois pilotes marchèrent dans les deux champs, pour enlever les obstacles et aplanir le sol. Yves prit sa place dans le Piper et se rendit lentement au début de la « piste ». Il exécuta un autre point fixe et relâcha les freins. L’avion ne bondit pas en avant : rappelons-nous qu’il roulait dans un champ de labour. Par contre, la journée froide apportait au pilote deux avantages réels : l’hélice mordait mieux que durant la saison chaude, et le champ avait durci, empêchant les roues de s’enfoncer. À mesure que l’appareil fonçait en avant, sa couleur blanche se transforma immédiatement en une teinte verte, suite au contact avec les hautes herbes.

L’appareil avançait à travers les sillons et les quenouilles, mais la vitesse ne semblait pas pressée de se manifester sur l’anémomètre qu’Yves consultait régulièrement. La piste raccourcissait à chaque seconde.

Il avait demandé à Paul de se poster à un endroit clef du premier champ, où celui-ci pourrait placer ses bras en forme de X, s’il jugeait que l’appareil ne gagnait pas assez de vitesse. Si cette éventualité se matérialisait, il espérait pouvoir arrêter sa course avant le chemin de tracteur.

Quand Yves arriva à la hauteur de Paul, celui-ci avait croisé ses bras en X. Par contre, le pilote voyait que l’aiguille de l’indicateur de vitesse commençait à bouger, aux environs de 25 nœuds, et grimpait graduellement. Il évalua rapidement la distance à parcourir avant d’atteindre le chemin de tracteur et décida de poursuivre sa course.

En arrivant au chemin raboteux, la vitesse se situait autour de 40 nœuds : il saisit la commande des volets et utilisa la position « pleins volets ». Le Piper sauta en crapaud par dessus le chemin de tracteur et se rabattit dans le deuxième champ avec une vitesse augmentant graduellement. Yves connaissait bien sa monture : il utilisa encore les volets au besoin et, voyant la vitesse monter, tira sur le manche à mi-chemin du deuxième champ : l’avion s’éleva gracieusement dans les airs. Yves tira avantage de l’effet de sol pendant quelques précieuses secondes. La vitesse augmenta alors rapidement parce que les roues s’étaient enfin libérées du sol. Le pilote vint lentement se placer face au vent et continua sa montée au-dessus d’une autre ligne d’arbres située heureusement un peu plus loin.

Le fait d’utiliser pleinement l’assistance des volets et de connaître sa machine contribuèrent beaucoup au succès de ce décollage difficile. En rétrospective, Yves s’empresse d’ajouter qu’il ne recommande à personne d’imiter son geste. Avant le départ, Yves avait averti ses amis de surveiller sa lumière d’atterrissage lors d’un passage effectué quelques minutes après : si elle était allumée, cela voulait dire qu’il s’en allait directement à Québec, au-dessus de l’autoroute 40, au cas « où ». Comme tout se déroulait normalement, il leur donna le signal convenu et revint à Québec sans autre pépin.

Une fois de retour chez-lui, notre pilote rechercha la cause de cette panne. Il consulta un mécanicien, qui ouvrit les entrailles du carburateur et n’y trouva aucun indice. Yves insista : il fallait découvrir la véritable raison du problème, pour éviter que pareille situation ne se répète, ni qu’un drame en découle. Le mécanicien poursuivit ses recherches et vérifia le gros boyau se trouvant à l’entrée d’air du carburateur: il le fendit et y découvrit des traces récentes d’eau, qui n’a pas sa place à cet endroit. Il suivit le conduit jusqu’à un drain spécial destiné à rejeter à l’extérieur le surplus d’eau, lorsque de grosses pluies pénètrent dans l’entrée d’air du moteur.

Comme l’avion avait été peinturé en septembre, donc environ 5 ou 6 semaines auparavant, le peintre avait utilisé du décapant et avait, par mégarde, bouché ce drain, ce qui redirigeait l’eau vers le gros boyau de l’entrée d’air du carburateur. Le froid récent avait contribué à former en celui-ci un bloc de glace qui, en fondant, étouffait pratiquement le moteur. Avis à ceux qui projettent de faire peinturer leur avion!

L’eau passait par-dessus le filtre d’air et s’accumulait dans ce gros boyau. Cette journée-la, il devait y avoir un bloc de glace mesurant entre 2.5 pouces à 3 pouces (6.35 à 7.62 cm), et épais de 1 pouce (2.54 cm). Il faisait alors moins -10 Celsius. C’était une des premières journées froides de l’automne.

Donc, en décollant de Québec, l’air froid circulait par-dessus le bloc de glace et le moteur gardait sa puissance. Puis, une fois à Trois-Rivières, la chaleur venant du moteur et celle de la température ambiante, ont agi en même temps pour faire dégager du boyau le bloc de glace au moment du décollage. Il se mit à fondre et à boucher l’entrée d’air du carburateur, réduisant considérablement la puissance.

De plus, quand Yves tenta d’allumer le réchauffe carburateur, il se trouvait à accélérer la fonte du bloc, ce qui empirait la situation : le moteur avalait de trop grosses goulées d’eau. En arrêtant l’action du réchauffe carburateur, Yves donna au moteur le petit coup de pouce essentiel qui aida à faire planer l’avion jusqu’au champ de labour.

De plus, il demeure convaincu que lorsqu’une urgence survient à une altitude aussi basse, alors que notre avenir se mesure plus en secondes qu’en minutes, on ne modifie rien d’important et on se concentre sur les tâches les plus urgentes, notamment voler l’avion.

Quand Yves décolla du champ de labour, le moteur ne subit aucune baisse de régime, parce que le bloc de glace avait littéralement fondu lors de ses deux longues périodes de point fixe effectuées sur place.

Il entra ensuite en communication avec le représentant de Transport Canada, pour le mettre au courant des derniers développements et de la découverte de ce qui avait causé la panne. Ce dernier, qui l’avait chaleureusement félicité lors de l’atterrissage forcé, lui dit cette fois-ci qu’il aurait dû identifier la source du problème et y apporter une solution avant de re-décoller. Celui-ci accepta avec humilité ces remarques et se dit qu’il agirait autrement, si pareille situation se présentait de nouveau.

Quant à la façon dont il a géré la crise, lors de la panne, il ne changerait pas sa procédure si un tel incident se reproduisait. Il sait que la tentation de revenir vers la piste, lors d’une telle situation, peut être très forte. Mais, vu la faible altitude, le manque de puissance et les dangers associés aux virages à haute inclinaison, mieux vaut filer droit devant. Les dommages risquent d’être moins grands, pour les humains et la machine. Et on pourra raconter nous-même l’aventure à nos petits enfants. *

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